Prisonniers
et rats de laboratoire à la prison de Haguenau
Jacqueline
de Croÿ - 14 avril 2007
Cela s'est passé en France dans les années
60. Il était jeune et inconscient. Un belge l'avait embarqué
dans des cambriolages, ce qu'il voyait comme un jeu et le mena à
une condamnation à trois ans de prison, à l'âge
de 22 ans. Par malchance, un gardien se mit entre un prisonnier
et lui pour les séparer lors d’une bagarre et il prit
son poing dans la figure. Condamné à un an supplémentaire
pour cela, il fit une grève de la faim, demandant son transfert
dans une autre prison.
Il fut envoyé à Haguenau, un ancien
hôpital militaire et bourgeois, devenu une prison de femme
en 1822 et n'aurait connu qu’une sombre époque durant
la guerre, quand l’armée allemande y avait enfermé
les résistants et prisonniers politiques. Après la
guerre, Haguenau était redevenu une prison de femme, puis
serait devenu une maison d’arrêt mixte en 1957, pour
les présumés innocents en l'attente de leur jugement,
selon les historiens.
Les prisonniers y auraient bénéficié
d’activités sportives journalières suivies de
douche obligatoire, de cours, d'atelier et de séances de
cinéma dominicale. Un quartier disciplinaire au sous-sol
aurait été une "cellule sans télévision".
Une annexe de la prison aurait été réservée
aux psychopathes, peu nombreux, que le personnel pénitentiaire était
tenu de considérer comme des personnes normales. Il y avait
des miradors, et les gardiens avaient ordre de tirer sur les prisonnier
qui tentaient de s’échapper, mais ceux confinés
à l'isolation n’avaient pas droit aux promenades collectives.
En
1970, il n'y avait aucune femme à Haguenau, pas même
parmi le personnel. Le prisonnier était accueilli par le
psychiatre qui lui posait cinq questions, puis le faisait attacher
à un lit durant quinze jours, en complète isolation.
Il était injecté des neuroleptiques matin et soir,
maintenu dans un état semi comateux, jusqu'à ce qu'il
accepte le remplacement de la piqûre par un verre plein de
neuroleptique buvable, qu'il devait prendre jusqu'à la dernière
goutte devant le gardien. Il pouvait alors tenir sur ses jambes
et rejoindre la promenade collective.
Tous les prisonniers étaient sous les mêmes
doses massives de neuroleptique. L’immobilisation de longue
durée est une torture physique et mentale considérée
inhumaine dans les hôpitaux psychiatriques, dés lors
qu’elle excède de deux à trois jours. Il s'agissait
d'un "lavage de cerveau chimique", seul traitement capable
d'obtenir que la totalité des prisonniers acceptent la drogue.
Le prisonnier allait en suite apprendre que les médecins
choisissaient certains pour évaluer les limites physique
et mentales humaines ; qu'en cas de bonne conduite, il suffisait
de dire "non merci", pour être à nouveau
attaché à son lit durant quinze jours. Il a dit
huit fois "non merci" et s'est retrouvé attaché
durant quatre mois et demi sur sept mois qu’il est passé
là.
Il a entendu un homme pleurer qu’il était
en train de mourir, et il est mort sans qu’un médecin
ne vienne le détacher. Il a entendu un autre homme crier
qu’il devenait fou, jusqu’à ce que ses paroles
n’aient de sens et qu'une ambulance l'emmène, preuve
qu'il n'y avait aucune annexe réservée aux psychopathes.
Il a vu des hommes manger des cuillères tordues pour pouvoir
se reposer à l'hôpital. Il a entendu un gardien dire à
un autre:- "Voilà un bon médecin".
"Je n'ai pas connu la période 'Club Med'
de Haguenau. Je n'ai jamais été informé de
'séances de cinéma dominicale' ou 'd'activité
sportive'. Il était interdit de jouer au football dans la
cour et les prisonniers ne pouvaient prendre de douche que le dimanche.
Il n'y avait pas plus de télévision dans les cellules
que dans le quartier disciplinaire".
Les travaux forcés en France étaient
alors indissociables de la peine de prison jusqu’à
la loi du 22 juin 1987, réduisant les prisonniers à
l’esclavage, dans ce qui s'appelaient des "ateliers".
Un prisonnier projeta de l'essence sur lui et l'enflamma. De retour
de l'hôpital, le corps entièrement brûlé,
il fut attaché à son lit. Il était détaché
matins et soirs pour être ramené à l'hôpital
afin de changer ses bandages, preuve qu'il ne s'agissait pas d'une
prison hôpital. Le psychiatre lui dit alors qu'en vue d'éviter
qu'il ne se venge, celui qui l'avait brûlé garderait
le traitement ordinaire, et il resterait en isolation, jusqu'à
la fin de sa peine. Il fut relâché avec plus de neuroleptique
que de sang dans les veines, sans désintoxication préalable.
Son corps s'est rapidement dérobé dans de violents
tremblements.
La prison, un monument néoclassique construit
entre 1783 et 1788, a été fermée et en 1986,
un an avant l'abolition de l'esclavage des prisonniers, puis partiellement
détruite en raison d’un "champignon dans la charpente".
C'était une prison sèche, assure le
rescapé de Haguenau, qui n'imagine pas qu'un champignon ait
pu s'y plaire, ou soit invincible au point de justifier la destruction
d'une prison (et bâtiment historique vieux de 200 ans) alors
que la France manque autant de cellules pour ses prisonniers.
Les historiens ne parlent que de l'époque où
la prison ne détenait que des femmes, dont Violette Nozière,
célèbre dans les années trente pour avoir empoisonné
son père incestueux, mais également sa mère,
dans le but de lui épargner la honte, la culpabilité
et les remords d'avoir fermé les yeux. Le silence qui entoure
ce qui s'est passé là sous la houlette de médecins
français, du nombre de prisonniers transformés de
force en rats de laboratoire involontaires, on imagine que la véritable
raison de sa fermeture cache autre chose. Les vestiges de la prison
ont été transformés en une ludothèque
qui a été inaugurée en 2001.